Michael Hoare
Avenir vivable (ouvaton.org)
[...]
Le problème posé est comme un incontournable composant du procédé :
qu’est-ce qui fait que le prisonnier participant ne sort pas perdant de l’échange
auquel nous, spectateurs, sommes convoqués ?
Certes, on veut bien s’imaginer
qu’il s’ennuie peut-être un peu moins pendant les séances de formation ou
de discussion, ou que cela peut l’amuser de jouer avec les petits bourges
bien intentionnés qui se pointent sous le couvert du ministre de la justice
le temps de jouer aux dispensateurs d’une nouvelle mouture de la culture destinée
au bas peuple. Mais au-delà de la réalité de son existence comme passe-temps ou
comme rupture de routine, que gagne un prisonnier à participer à ces jeux qui
donnent des films où tout le bénéfice (psychologique, en reconnaissance sociale,
souvent financier) coule vers celle ou celui qui n’est pas enfermé ?
La plupart du temps, on est obligé de répondre " rien ".
Or ici force est de constater que la réponse doit être autre. Nous sommes obligés
de reconnaître que l’expérience de l’emprisonné a passé, a été transmise.
Son vécu, sa façon de voir, de penser, de formuler nous sont comme injectés
derrière la rétine et reconstitués dans nos cerveaux. Plus que par n’importe quelle
interview, on comprend. En cela les prisonniers participants sont gagnants,
puisqu’ils ont réussi à nous secouer dans notre propre humanité. Ils ont gagné
des alliés, forcément. Et peut-être cela justifie-t-il l’ensemble des efforts,
l’ensemble des pratiques d’ateliers et de filmages en prison que nous avons suivis
depuis près d’une vingtaine d’années en France avant d’arriver
à cet aboutissement simple, pur, d’un pouvoir d’imposition absolu.
http://www.avenirvivable.ouvaton.org/journal/9m2%20pour%20deux.htm