Par Frédéric Sabouraud, critique de cinéma, enseignant et scénariste
9m2 pour deux fait partie de ces films qui viennent nous rappeler de
temps en temps que le cinéma peut aussi être pour le spectateur une
expérience. Au sens où, comme au début de Close-up d’Abbas Kiarostami
lorsque nous assistons à un dialogue entre un chauffeur de taxi, des
militaires et un journaliste, nous sentons bien dans 9m2 pour deux
poindre un trouble en nous face aux situations qui se déroulent dans
l’espace confiné d’une cellule de la prison des Baumettes à Marseille.
Tout a l’allure du documentaire, jusque dans le passage de la petite
caméra DV de l’un des prisonniers à l’autre, les mouvements parfois
chaotiques, les propos au jour le jour, loin des dialogues de
scénaristes dont la maîtrise nous embarque immédiatement dans un
ailleurs identifié et parfois même trop reconnaissable. Ici, nous
sommes dans l’indécision en face d’une réalité non identifiable que le
déroulement du film va peu à peu accentuer : travail sur la lumière,
sur le rythme, construction du montage nous font ressentir plus
qu’intellectualiser, plan après plan, la présence sous-jacente, tapie
dans l’ombre de la fiction (…).
Nous n’en sommes pas pour autant au bout de nos doutes. Car s’il s’agit
bien d’une fiction, celle-ci n’a que bien peu à voir dans les
représentations qu’elle nous propose avec les mythologies (cinéma de
fiction et de documentaire confondus) que charrie la production
cinématographique à propos des prisons, du récit d’évasion au
témoignage compassionnel en passant par le chant d’amour. Nous sommes
dans un monde qui pèse son poids de réel, respire le grain du quotidien
et s’incarne fortement. Cet univers s’avère d’autant plus troublant que
plus le film avance, moins nous savons précisément qui le fait : est-ce
un deus ex-machina tapi dans l’ombre (Jimmy Glasberg ou son comparse
José Césarini avec l’aide du monteur Roger Ikhlef ) ? On doute que les
tôlards se soient laissés embobinés si facilement dans ce qui relève
quand même d’un exercice de dévoilement de soi où l’impudeur et l’aveu
relèvent d’un certain courage, d’une vraie prise de risque, d’un
engagement profond. Nous ne sommes pas non plus dans le film
témoignage, la catharsis du filmé, la thérapie par le cinéma. Alors
voilà, nous avons à faire à un OCNI (objet cinématographique non
identifié) qui vient rejoindre la liste pas si longue que ça, celle des
films qui ne masquent pas la profonde ambiguïté de leur démarche mais
au contraire la livre en pâture au spectateur pour mieux le mettre en
déséquilibre. Car au fond, ce qui nous trouble le plus dans 9m2 pour
deux, ça n’est pas de savoir qui a fait le film (car on se doute bien
que grâce à la justesse de son dispositif, à un moment il s’est fait
tout seul, avec le concours attentif de tous). Ce qui nous met en
suspend, au-dessus d’un abyme c’est plutôt de ne pas y trouver ce que
nous y cherchons (des prisonniers geignards et révoltés face à des
cinéastes bienveillants) mais des gens qui, dans le lieu où on en
manque le plus, s’approprient cette formidable chance de liberté que
leur offre cette expérience de cinéma hérétique et impure qui leur
permet de se montrer, à travers leur travail de scénaristes,
dialoguistes, comédiens, caméramans et réalisateurs, comme des êtres
libres.
Frédéric Sabouraud
Critique de cinéma, enseignant et scénariste