Au fil des ans, Lieux Fictifs à construit une démarche qui s’est élaborée à partir de la recherche d’une position active du spectateur, considérant l’image comme un moteur pour la pensée et pour la transmission humaine. C’est cette réflexion qui nous a conduit à développer de nouvelles écritures vidéo et cinéma et de nouvelles formes de diffusions et de rencontres avec le spectateur. Nous accompagnons des expériences cinématographiques où les porteurs de projets sont amenés à se poser ces questions :
Qu’est qu’une image ? Comment faire une image ? Comment filmer l’autre ?
Entre la prison et la société extérieure, il y a plus de ressemblances que de différences. La particularité de l’espace carcéral tient plus de la radicalité qu’il produit. Mettre le cinéma à l’épreuve de la prison, c’est le mettre aussi à l’épreuve de notre société. Nous pensons que la question du cinéma, et plus largement des différentes expériences artistiques, ne peut que s’enrichir dans cette confrontation.
Le cinéma doit s’expérimenter, se risquer dans l’espace social, dans la société, il doit nous aider à reconstruire du récit individuel et collectif. Ce qui est en jeu dans cette recherche artistique, c’est notre place de cinéaste dans l’écriture et la fabrication des films. Mais c’est aussi notre place de cinéaste dans la société.
Nous cherchons à renverser le point de vue, à rétablir une réciprocité dans les regards (celui qui filme et celui qui est filmé), à reconstruire des récits dans des lieux qui les fragmentent, les isolent, les effacent. Au concept du pouvoir total de l’auteur, nous préférons interroger cette place, la partager si nécessaire. Nous préférons penser des dispositifs filmiques qui nous permettent de "faire les choses ensemble" plutôt que de "faire sur l’histoire des autres" ou dans une version plus caritative "pour les autres".
Il s’agit de repenser notre responsabilité en tant que producteurs d’images
Le sens critique, la pensée, les émotions disparaissent progressivement au profit du contrôle, du voyeurisme et de l’obscénité, entraînant ainsi l’abêtissement des masses populaires. Celles-ci ne se représentent plus le monde, et donc elles-mêmes, qu’à travers un certain type d’images (télévisuelles, cinématographiques, photographiques ou numériques.)
Nos partis pris de travail font écho et s’opposent à la montée en puissance d’une approche marchande du cinéma ou de la télévision où les spectateurs sont de plus en plus mis en position de consommateurs passifs où l’imagination n’a souvent plus de rapport avec la réalité et les images aussitôt consommées sont oubliées.
En tant que cinéastes, nous savons que la perception du monde et notre inscription dans le monde n’est pas acquise mais à inventer. Nous savons que nous devons prendre conscience du manque, du vide qu’il y a entre nous et les autres pour développer notre désir d’être au monde. C’est cela que nous souhaitons transmettre et travailler avec différents publics, en prison et à l’extérieur.
En tant que représentation, l’image concerne des domaines traditionnellement séparés, création artistiques, communication, histoire, pédagogie, sciences humaines et sociales, psychologie… Quelque soit la diversité d’approche dont elle fait l’objet, l’image apparaît comme l’un des pivots de la construction des identités individuelles et collectives.
Les représentations filmiques dominantes sont de plus en plus enfermées dans des processus de réduction des identités à des stéréotypes, des symptômes névrotiques. Ce lien primordial entre image et identité est plus que jamais marqué par la confusion, la stigmatisation et l’exhibition spectaculaire. Les émissions de télé-réalité illustrent parfaitement cette tendance. Les conséquences des progrès rapides des technologies informatiques, l’incommensurable flux d’images en mouvement que nous absorbons quotidiennement suscitent inquiétude, enthousiasme ou indifférence. Paradoxalement, cette profusion d’images provoque plus d’amnésie que de traces et de récits.
Dans tous les cas, les modes de pensée, d’action, ont été bouleversées sans que nous ayons eu le temps d’en prendre la mesure. Nous pensons que ce débat doit s’incarner dans la façon dont nous fabriquons et diffusons des images et dans la manière dont elles mettent en relation l’expérience sensible avec la pensée. Il nous apparaît nécessaire de nous ré-envisager en tant que cinéastes, artistes dans une pratique et une réflexion sur la place de l’image aujourd’hui dans la construction de nos identités.
C’est donc à plusieurs niveaux que notre démarche s’inscrit : aussi bien en amont du projet en proposant des dispositifs d’écriture et de réalisation, mais aussi dans une dynamique où cohabitent les économies de la recherche, du social, de la formation et de la production télévisuelle et cinématographique, dont 9m² pour deux est la cristallisation.
Le dernier niveau est celui de la diffusion, de la mise en débat et de la construction critique à travers le relais de structures de diffusions mais aussi dans l’organisation de séminaires, de rencontres, dans la constitution d’un réseau interdisciplinaire que nous espérons au moins européen qui lierait différentes pratiques dans les champs artistiques, critique, sociologique, philosophique…
C’est pour cela que nous avons tissé de nombreuses collaborations avec des festivals, des revues critiques, des philosophes, d’autres expériences singulières de travail sur l’image et sur l’expérience artistique en générale.
Aujourd’hui nous sommes engagés dans un processus de formalisation de nos expériences et de nos partenariats dans l’objectif de créer un espace de débats sur la place de l’image dans la société, d’initier à la mise en œuvre de nouvelles écritures filmiques.